La salle d’attente est bondée. La scène se répète comme dans l’autobus un peu plus tôt ce matin. Comme dans le magasin d’alimentation hier. Ou dans la pharmacie la semaine dernière, quand le garde de sécurité a dû intervenir.
L’enfant gesticule dans tous les sens. Tantôt, il s’amusait à faire tomber les chaises. Il a aussi déchiré des revues, et renversé du liquide par terre. Il crie et répond impoliment à sa mère, tout le monde est consterné. Son âge est difficile à déterminer, je dirai entre quatre et six ans.
Une maman offusquée fusille du regard la mère. On dirait qu’elle ne réalise pas combien son fils est mal élevé.
Voyons Madame, la discipline, vous connaissez ?
Excédée, elle se lève. Elle ne mâche pas ses mots, son indignation est telle qu’elle en oublie toute compassion. « Votre enfant est en train de perturber tout le monde, Madame. Une heure à côté de lui et je n’en peux plus ! »
La mère pleure. Elle est à bout de nerfs. Son cœur saigne.
En réalité, elle a tenté toutes les interventions qu’on lui a appris. Elle les applique depuis des années et présentement, elle est épuisée. Alors elle ferme les yeux et prend sur elle. En espèrant que ce soit leur tour rapidement.
C’est justement pour ça qu’elle est là, pour demander de l’aide / se faire prescrire des antidépresseurs. Enfin, n’importe quelle pillule pourvu que ça diminue un peu son malheur.
Elle tente aussi de calmer cette colère grandissante, cette honte qui la poursuit partout où elle va. Elle ne regarde personne parce qu’elle sait très bien qu’on ne lui sourira pas.
Il y a ça, et il y a le fait que c’est son garçon. Qu’elle l’aime et qu’elle ne l’abandonnera pas. Il doit bien exister une solution. Tant pis si les autres ne comprennent pas.
Être parent aujourd’hui, qu’est-ce que cela signifie? Au delà d’avoir mis au monde, au delà d’avoir bercé nos enfants quand ils étaient nourrissons, au delà de leur avoir chanté des berceuses, de les avoir nourris, de les avoir réconfortés, cela signifie les accompagner. Marcher à côté d’eux puis, pas à pas, leur lâcher la main pour qu’ils se fassent confiance, pour qu’ils apprennent à continuer seuls. Enfin, doucement se retirer, reculer, prendre de moins en moins de place. Parfois, ils glissent. Ils trébuchent et ils tombent. La plupart du temps, ils se relèvent mais il peut arriver, certaines fois, que la chute soit plus dure, plus douloureuse. Que les ecchymoses restent plus longtemps. Que la blessure soit plus profonde ou mal cicatrisée. Il peut arriver aussi, je suppose, que les conséquences en soient plus difficiles à comprendre, plus dommageables .
Être parent, c’est apprendre à accepter que, au delà d’avoir donné la vie, nous ne sommes que l’accompagnant, celui / celle qui, sans jugement, ouvrira les bras chaque fois que nécessaire, mais saura se taire quand les paroles, les mots n’auront plus cours / lieu d’être. Celui / celle qui, sans baisser les bras, continuera de croire en ses enfants mais d’un regard, d’un sourire, les encouragera à poursuivre leur route. D’un regard, d’un sourire, leur intimera de ne plus se retourner.
Personnellement, j’ignore encore comment j’y parviendrai. Comment je ferai pour me retenir de courir vers eux, cesser de les entourer de mes bras protecteurs. Ne pas fustiger celui qui leur aura fait mal. Ne plus essuyer chacune de leurs larmes. Ne plus pleurer quand ils souffriront. Accepter que tout ne soit pas parfait. Accepter, aussi, qu’ils commettent leurs propres erreurs.
J’ignore à quoi ressemblera ma vie lorsqu’ils seront partis. Comment ferai je pour passer à autre chose? Ou trouverai-je la force de me construire un nouveau quotidien?
J’ignore aussi, surtout, comment je ferai pour cesser d’intervenir dans leur vie, comment je ferai pour m’abstenir de leur donner des conseils. Comment je ferai pour ne plus essayer de tout arranger à leur place.
Oui je l’ignore, mais j’essayerai. Je ferai de mon mieux.
Être parent c’est tout ça. Au delà d’avoir mis au monde, au delà d’avoir aimé sans réserve, au delà d’avoir tout donné, tout sacrifié pour qu’ils soient heureux, qu’ils aient tout ce qu’il faut, c’est apprendre à leur faire confiance, un pas à la fois, une enjambée en entraînant une autre. C’est aussi, et enfin, accepter que nous ne sommes qu’un petit morceau du casse-tête géant qui remplira leur vie. Un tout petit morceau de leur histoire.
Une histoire qui se répète sans fin … depuis que le monde est monde.
Comme je l’ai déjà écrit / mentionné dans d’autres articles, je suis l’heureuse maman de trois magnifiques enfants. Deux garçons et une fille, tous les trois robustes et en bonne santé. Mon aîné vient de rentrer dans l’adolescence, période critique mais oh combien nécessaire. Ma seconde n’a pas encore soufflé ses dix bougies et mon troisième dort chaque nuit avec ses peluches. Ils ont respectivement trois ans d’écart avec celui / celle qui le / la précède et sont tous nés à une étape différente non seulement de ma vie, mais également de ma maternité et de ma carrière.
Pour mon premier enfant, je n’avais aucune expérience et j’avoue avoir complètement paniqué. Il est immédiatement devenu le centre de mon univers mais, côté pratique, ça a été laborieux. J’avais une peur bleue de le casser, de lui faire mal, de le rendre malade. Alors à sa naissance, je ne me suis même pas posé la question de comment j’allais le nourrir, les biberons étaient déjà achetés / prêts. C’était un magnifique bébé mais très chétif et qui pleurait tout le temps; il réclamait constamment mes bras, y compris la nuit, et régurgitait sans arrêt. Nous finîmes par apprendre / comprendre / qu’il était intolérant à son lait et sitôt que ce dernier fut changé contre une préparation sans lactose, la situation s’améliora considérablement. Trois ans plus tard, je mis au monde une magnifique petite fille. À cette époque, j’avais beaucoup cheminé. La preuve en est que je décidai d’accoucher naturellement et, sitôt née, mis la fillette à mon sein. Mon fils aîné était souvent malade, il était fragile et réclamait beaucoup de soins et d’attention. Le pédiatre, les infirmières, mettaient cela sur le compte du fait que je ne l’avais pas allaité et j’éprouvais une énorme culpabilité ce concernant. Alors pour ce nouvel enfant, je ne voulais surtout pas commettre la même erreur. Ma fille était un bébé facile, qui souriait tout le temps et qui fit ses nuits quasiment sitôt la naissance. Je l’allaitai jusque l’âge de trois ans, balayant d’une main les préjugés, de l’autre les protestations de mon entourage. Fort heureusement, mon mari fut d’un immense soutien.
Ma fille développa une excellente santé et, contrairement à son grand frère qui attrapait le moindre virus passant à proximité, tomba rarement malade.
Dans les deux cas, je ne me suis pas posé de questions au moment de faire mon choix. J’ai fait ce que je pensais devoir / pouvoir faire et c’est mon instinct, et seulement lui, que j’ai écouté. Je n’aurai pas pu, pas voulu faire autrement.
Je trouvai toutefois dommage les commentaires, dans l’un ou l’autre des cas, visant à m’influencer.
Pour finir, je portai des jumeaux et l’allaitement avec ma fille s’était si bien déroulé que je décidai d’allaiter mes enfants à naître. Malheureusement, mes petits derniers naquirent à l’âge de 29 semaines, en urgence, et celui qui survécut, qui pesait à peine deux livres et demi, fut aussitôt placé en couveuse. Terriblement affligée par la situation, j ‘éprouvai les plus grandes difficultés à produire de quoi le nourrir. Malgré tout, comme j’allaitais encore occasionnellement ma fille, je pus tout de même, de peine et misère, tirer un peu de lait. Lait qui, à l’hôpital fut mélangé avec la préparation dont on le gavait. A ma plus grande déception, quand il fut assez mature pour téter, il préféra le biberon à mon sein.
Ce petit garçon né prématurément, très malade les premiers mois de sa vie, aura maintenant bientôt sept ans. Il est d’une force incroyable, d’une grandeur et d’une grosseur assez phénoménales pour son âge et ses aptitudes aux différents apprentissages ne cessent jamais de nous impressionner. Certes, son parcours n’a pas été facile mais en dehors de deux ou trois otites et d’un peu d’asthme lorsqu’il était bébé, puis de quelques maladies bénignes lorsqu’il a commencé à fréquenter la garderie / l’école, sa santé est excellente.
Cet enfant, loin d’être né dans des conditions optimales, n’a pas été allaité. C’est aujourd’hui le plus grand et le plus fort de la fratrie.
Je n’ai que faire des différents sondages / études / statistiques qui tendent à prouver ceci ou cela. Voici ce que je pense: Oui allaiter son enfant est magnifique. Oui, c’est merveilleux de le faire Si on peut le faire. Oui le lait maternel contient d’excellents anticorps et de nombreuses propriétés pour le nourrisson. Oui nous avons le droit de le faire en public et non nous n’irons pas nous cacher dans des toilettes publics pour donner le sein si cela offense quelque quidam. A lui / elle de regarder ailleurs!
Mais non nous ne sommes pas obligées d’allaiter notre enfant si nous ne le souhaitons pas. Quelle(s) que soi(en)t notre / nos raison(s). Non nous ne sommes pas moins bonnes mamans si nous ne l’avons pas fait. Non nous n’avons pas non plus à nous en justifier. Et non nous ne sommes pas coupables de négligence si nous avons choisi le biberon .
Allaiter est un choix qui appartient au(x) parent(s) au même titre que le choix du prénom, de l’hôpital, du parrain / de la marraine, de la couleur de sa chambre ou de son école plus tard, et je trouve complètement irrationnel, voire très irritant, que ce choix devienne un débat de société.
Quoi de plus personnel que notre corps et ce que l’on décide d’en faire? Quoi de plus précieux que notre instinct et ce qu’il nous dicte de faire?
Quoi de plus pertinent que de vivre …et laisser vivre sans jugement!